Vinrent les masses : l'ombre calme et mesurée du vêtement d'abord. Il peignit la sérénité du surplis noir aux subtils dégradés, l'équilibre
hiératique de la stature, et l'étonnant couvre-chef qui devait protéger le centre du tableau de la lumière trop crue venue d'en-haut.
Puis, au centre de la toile tendue, de prime abord plus sombre encore que le surplis, dans l'ombre portée du grand chapeau : la face.
Il ne la peignit pas. Il attendit, observant ce visage qui le dévisageait, là,
derrière la vitre. Une étrange lueur irradiait. Non pas une lumière de la nature de celle qui, diffusée par la verrière du plafond, envahissait l'atelier, de ce côté-ci du miroir, mais une lueur intrinsèque,
émanescente, évanescente. Elle venait du regard.
Il l'observa avec un peu plus d'acuité encore ... et il comprit soudain : il venait de débusquer ce qu'il avait tant cherché.
Ce regard de son double réfléchi était la porte, celle par où il se pourrait noyer intégralement dans l'univers vrai qu'il savait être,
mais n'avait jamais vu.
Ils restèrent ainsi, yeux dans les yeux. Il observa longtemps. Puis, il jubila, il explosa
d'une joie extrême, plus intense que jamais iL n'eût pu connaître. Cette porte, il la peindrait. Et il s'y engouffrerait, lui aussi, tout entier, et accéderait ainsi à cette inaccessible existence dans la connaissance parfaite
... Et avec lui, dans la connaissance parfaite, s'engouffreraient tous ceux qui entreraient dans sa peinture ... Avec son infaillible technique (il comptait quelques années de métier, déjà) il pourrait s'approprier cette lueur dans
le regard sur sa toile, là, dans l'espace au centre, sous le chapeau. Il deviendrait la porte ouverte par où tous pourraient plonger dans cet univers autre ou ...
Enivré, le peintre tourna à nouveau les yeux vers son modèle. La lueur dans les yeux avait disparu.
Joie, jubilation, exaltation : tout avec la lueur s'éteignit. De longues heures encore, le peintre observa
le modèle affadi. Jamais il n'y revit la lueur. Étranges relents d'amertume au fond de la gorge, mais pas de désespoir, non ...
Ce qu'il avait entrevu ne le lui permettait plus : il peindrait ce modèle, son être essentiel entrevu un instant, il le peindrait de mémoire, s'il le fallait !
Alors, d'un coup sec, il cassa le miroir. Et il se trouva seul, étrangement mal à l'aise entre
le concept dont il se savait seul détenteur, et l'espace vide, là, au centre de la toile.
Il prit son courage, sa palette, ses pinceaux, et sur l'esquisse à demi terminée, le peintre se remit au travail.
Vinrent les masses : l'ombre calme et mesurée du vêtement d'abord. Il peignit la sérénité du surplis noir aux subtils dégradés, l'équilibre
hiératique de la stature, et l'étonnant couvre-chef qui devait protéger le centre du tableau de la lumière trop crue venue d'en-haut.
Puis, au centre de la toile tendue, de prime abord plus sombre encore que le surplis, dans l'ombre portée du grand chapeau : la face.
Il ne la peignit pas. Il attendit, observant ce visage qui le dévisageait, là,
derrière la vitre. Une étrange lueur irradiait. Non pas une lumière de la nature de celle qui, diffusée par la verrière du plafond, envahissait l'atelier, de ce côté-ci du miroir, mais une lueur intrinsèque,
émanescente, évanescente. Elle venait du regard.
Il l'observa avec un peu plus d'acuité encore ... et il comprit soudain : il venait de débusquer ce qu'il avait tant cherché.
Ce regard de son double réfléchi était la porte, celle par où il se pourrait noyer intégralement dans l'univers vrai qu'il savait être,
mais n'avait jamais vu.
Ils restèrent ainsi, yeux dans les yeux. Il observa longtemps. Puis, il jubila, il explosa
d'une joie extrême, plus intense que jamais iL n'eût pu connaître. Cette porte, il la peindrait. Et il s'y engouffrerait, lui aussi, tout entier, et accéderait ainsi à cette inaccessible existence dans la connaissance parfaite
... Et avec lui, dans la connaissance parfaite, s'engouffreraient tous ceux qui entreraient dans sa peinture ... Avec son infaillible technique (il comptait quelques années de métier, déjà) il pourrait s'approprier cette lueur dans
le regard sur sa toile, là, dans l'espace au centre, sous le chapeau. Il deviendrait la porte ouverte par où tous pourraient plonger dans cet univers autre ou ...
Enivré, le peintre tourna à nouveau les yeux vers son modèle. La lueur dans les yeux avait disparu.
Joie, jubilation, exaltation : tout avec la lueur s'éteignit. De longues heures encore, le peintre observa
le modèle affadi. Jamais il n'y revit la lueur. Étranges relents d'amertume au fond de la gorge, mais pas de désespoir, non ...
Ce qu'il avait entrevu ne le lui permettait plus : il peindrait ce modèle, son être essentiel entrevu un instant, il le peindrait de mémoire, s'il le fallait !
Alors, d'un coup sec, il cassa le miroir. Et il se trouva seul, étrangement mal à l'aise entre
le concept dont il se savait seul détenteur, et l'espace vide, là, au centre de la toile.
Il prit son courage, sa palette, ses pinceaux, et sur l'esquisse à demi terminée, le peintre se remit au travail.